Lorsqu’un diamant d’une taille inespérée est extrait d’une mine de Yakoutie, c’est tout le pays qui est en liesse. La mise en vente du « Sauveur de la Russie », comme il est sitôt surnommé, va permettre de rembourser l’intégralité de la dette nationale, abyssale, et d’offrir à chaque citoyen russe de partir trois ans en vacances aux îles Canaries.
Transporté à Moscou sous haute protection (mais sans aucune discrétion, le pouvoir ayant grandement mis en scène l’événement) en Antonov An-124, il est subtilisé à l’arrivée par le parrain mafieux Kozioulski (Armen Djigarkhanian), qui se le fait aussitôt chipé par Vassili Krolikov (Valery Garkalin), un escroc notoire.
Alors qu’il est poursuivi à la fois par la militsia, et par les hommes de main de Kozioulski, Krolikov fera la rencontre de ses deux frères jumeaux : l’un élevé dans une famille juive et devenu chef d’orchestre respecté, et l’autre élevé dans une famille de gitans russes, et candidat au Parlement.
Ce n’est plus un homme, mais trois frères qui ont les autorités et la mafia aux trousses. Les quiproquos et les situations burlesques s’enchaînent tout au long du film.
Mais quelle mouche a pu piquer Vladimir Menchov, réalisateur oscarisé en 1981 pour « Moscou ne croit pas aux larmes », pour sortir en 1995 une telle production réunissant de nombreux acteurs de renom ?
Avec son registre assumé de l’absurde, « Chirli-Myrli » a dérouté et n’a pas emballé la critique à sa sortie, comme le rappelle l’émission vDud diffusée en octobre 2021 sur la chaîne Youtube du même nom, dans un épisode consacré à « Chirli-Myrli. »
S’il est aujourd’hui un film apprécié, à sa sortie, les rires sont plutôt rares. La satire est incomprise. Le public retient plutôt le chaos, les blagues douteuses et des grossièretés. Le registre de la farce est risqué, il laisse de marbre ou fait rire.
Le titre du film, lui-même, est difficilement traduisible. Il a été choisi par l’un des scénaristes, Vitali Moskalenko, dont la grand-mère originaire de la région de Volgograd chantonnait souvent des rimes humoristiques, et l’un d’eux avait « chirli-myrli » dans son refrain.
Le personnage de Krolikov l’entonne dans l’une de ses premières apparitions. Quant aux îles Canaries, elles représentent dans la société russe des années 1990 l’idéal du repos et de la détente. Plus, alors, que les îles Baléares, la Côte d’Azur ou encore Courchevel.
Vladimir Menchov confiera plus tard avoir souhaité dépeindre la Russie désorganisée et chaotique des années 1990, et voulu réaliser un film sur l’amitié.
Les thèmes du chauvinisme, de l’antisémitisme et du racisme sont évoqués avec humour et lucidité. Chacun des trois frères évoque initialement une hostilité, sinon une aversion, pour au moins l’un des deux autres. Ainsi le Russe envers le Juif, le Juif envers le Gitan, et le Gitan envers le Russe.
Afin de permettre à Valery Garkalin d’interpréter tour à tour les trois frères, parfois présents dans la même scène et, ne bénéficiant pas encore des technologies les plus modernes, le réalisateur s’est inspiré de techniques utilisées dans le film de 1947, « Le Printemps », de Grigori Alexandrov. Pour tourner ces seules scènes, un mois de tournage aura été nécessaire.
Pour ce rôle, Valery Garkalin reçoit le prix du meilleur acteur 1995 au festival Kinoshock d’Anapa, rendez-vous consacré au cinéma de la Communauté des Etats Indépendants (CEI).
Il sera également distingué Artiste émérite de la fédération de Russie en 2000, puis Artiste du peuple de la fédération de Russie en 2008. Il décède des suites du Covid-19, à l’âge de 67 ans, en novembre 2021, soit quatre mois après Vladimir Menchov, également mort du Covid-19 à l’âge de 81 ans.
Recouverte en grande partie par la taïga et des zones montagneuses, la Yakoutie, aussi connue sous le nom de République de Sakha, est située au nord-est de la Sibérie. Avec plus de 3 millions de km2, elle est le plus vaste sujet de la Fédération de Russie.
Depuis la découverte du premier gisement de diamants dans les années 1950, l’activité n’a cessé de se développer, et représente aujourd’hui plus de 95 % de la production nationale de diamants bruts. Un temps premier producteur mondial de diamants, la Russie représente aujourd’hui plus de 30 % de la production mondiale.
En octobre 2019, pour la première fois au monde, un diamant contenant en son coeur un autre diamant, a été découvert en Sibérie.
Pour l’anecdote, le plus gros diamant jamais extrait d’une mine russe à ce jour a été découvert en Yakoutie en mai 2025. Baptisé « 80 ans de la Victoire de la Grande guerre patriotique », de couleur ambre, il pèse 468 carats.
Le plus gros diamant brut du monde jamais découvert reste le Cullinan (3106 carats, environ 620 grammes), extrait d’une mine d’Afrique du Sud en 1905.
Certaines répliques du film sont devenues populaires. Ainsi, lorsque sa mère lui explique qu’elle est en réalité sa tante et qu’il a un frère jumeau, Krolikov met les propos de sa mère sur le compte de la fatigue et lui recommande de faire attention à son alimentation :
« Maman, le chou c’est bon, mais il faut aussi des en-cas à la viande à la maison ».
L’expression « Il vend des membres en bois ! » a été incomprise à l’époque par beaucoup de Russes. Vladimir Menchov évoquait ici les matrioshkas, ces poupées russes gigognes en bois peintes à l’effigie des membres du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique. Vendues dans les rues de la capitale, elles étaient populaires auprès des touristes étrangers dans les années 1980-1990.
L’absence de censure artistique donne au réalisateur, pour la première fois, une totale liberté. En effet, pour ses précédents films, dont « Moscou ne croit pas aux larmes » (1980) ou encore « Amour et pigeons » (1985), les autorités étaient intervenues.
Mais la production cinématographique russe des années 1990 n’est pas favorisée pour autant, le contexte économique, politique et sécuritaire se prêtant peu aux subventions d’Etat et à une politique du cinéma (effondrement économique du début des années 1990, bombardement et prise d’assaut du Parlement par l’armée en octobre 1993, première guerre de Tchétchénie…)
Ainsi, le personnage alcoolisé de Soukhodrichev, interprété par Oleg Tabakov (une figure du théâtre Sovremennik, dont la troupe a été créée en 1956 au temps du dégel de Khrouchtchev), peut se permettre de crier face aux policiers :
« Arrêtez la torture, on n’est plus en 1937 ! ».
Les scénaristes ont également inclus, pour accompagner le présentateur télévisé (interprété par Arkady Koval) annonçant la bonne nouvelle (la découverte du diamant), puis la mauvaise nouvelle (le vol du diamant), un interprète en langue des signes, qui n’avait pas de visibilité sur les écrans soviétiques.
Les paroles d’« Ah, toi, vaste steppe », interprétée par le Choeur des cosaques du Kouban, accompagnent les dernières minutes du film, qui n’a été que très peu diffusé à l’étranger.
En France, le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe de Paris a organisé une projection au printemps dernier. « Chirli-Myrli » est disponible sur la plateforme Youtube.




