Le personnage central de cette comédie est Tchatski. En homme d’esprit, Tchatski est condamné à marcher sur une corde raide. C’est là le malheur de l’esprit, le malheur d’hommes et de femmes condamnés à errer à travers des champs infinis…
Ainsi, en voyageant par des chemins perdus,
Dans la plaine infinie, on reste sans rien faire,
Davantage que la satire de la noblesse, davantage que les répliques et citations devenues proverbiales, davantage que son amour désespéré pour Sofia, davantage que la critique d’un Moltchaline sans-mots et sans-substance et de tout ce qu’il représente, davanatge que le contexte historique (Byron se bat en Grèce, le l’insurrection décembriste est sur les rails), la merveille de cette comédie réside dans le corps qu’elle donne aux énigmes éternelles.
Devons-nous emprunter des idées venant de l’étranger ? Devons-nous être fidèles à l’identité unique et sacrée ? Devons-nous emprunter des idées à l’étranger, seulement pour le sursaut de l’identité propre et sacrée ? C’est à un véritable numéro d’équilibriste qu’il faut se livrer.
Tchatski est un homme de culture et de livres, un homme de beauté et d’art, entouré d’homme qui considèrent la science et l’instruction comme une peste (Famoussov). Tchatski a soif de liberté et refuse la censure, mais ce n’est pas un homme des réunions en club. Visiblement, il n’est pas homme du jour de la tempête (révolution). Tchatski veut servir, mais il ne veut pas être un serviteur.
Tchatski marche sur cette corde raide qui sépare la passion de la passion irréfléchie, ou l’action, en d’autres termes.
Dans son rejet de l’influence française et plus largement du tournant européen de Pierre le Grand, Tchatski s’interroge : la Chine ne serait-elle pas une influence plus acceptable ?
Je trouve la Russie cent fois moins belle –
Je suis un vieux croyant, tant pis, à votre gré –
Depuis qu’elle a troqué pour des modes nouvelles
Et ses moeurs et sa langue et son passé sacré
Ah si nous nous sommes nés pour emprunter toujours,
Pourquoi ne pas emprunter à la Chine
L’ignorance où elle est de l’extérieur ?
Ressuciterons-nous un jour nos origines,
Afin qu’intelligent, plein de vigueur,
Le peuple russe, enfin, nous voie comme des Russes ?
Ces questionnements de Tchatski ont autant de portée historique que le dilemme d’Alexandre Nevski dans le chef d’oeuvre éponyme d’Eisenstein : combattre la Horde d’Or ou les Chevaliers Teutoniques ? Est ou Ouest ?
Et pourtant, malgré son rejet de l’influence française, il finit par être qualifié de Voltairien et de Jacobin; références dont il se serait certainement passé.
La cruelle ironie : l’idée et l’identité pures n’existent pas.